VOUS AVEZ DIT « AUTISME »?

Et si l’autisme n’était pas une déficience, mais une différence ? C’est ce que soutient un courant de pensée né aux Etats-Unis et encore méconnu en France : la « neurodiversité ».

Docteur honoris causa de l’université de Montréal, la chercheuse canadienne Michelle Dawson est une spécialiste mondialement reconnue de l’autisme. Ses dix années de recherche sur le sujet l’ont convaincue qu’il fallait complètement changer notre regard sur ce trouble du développement dont la prévalence ne cesse de s’accroître d’année en année (lire ci-dessous). Malgré leurs difficultés à interagir et à communiquer, malgré leurs comportements répétitifs, les autistes, affirme Michelle Dawson, ne sont pas des versions défectueuses de monsieur et madame Tout-le-Monde. Leur fonctionnement mental n’est pas déficient, mais différent. Et leur potentiel, bien trop souvent inexploité. Michelle Dawson est bien placée pour le savoir. Avant de rejoindre en 2004 le département de psychiatrie de l’université de Montréal à la demande de Laurent Mottron, ponte canadien de l’autisme qui avait su déceler chez elle des qualités exceptionnelles, elle travaillait comme simple employée des Postes canadiennes. Autiste elle-même, elle aurait pu végéter toute sa vie dans cette position subalterne.

Neurodiversité

L’approche qu’ont Laurent Mottron et Michelle Dawson de l’autisme s’inscrit dans un courant de pensée né aux Etats-Unis dans les années 1990, mais resté peu étudié par la communauté scientifique : la « neurodiversité ». Les promoteurs de ce concept bataillent pour que l’autisme ne soit plus défini par rapport au fonctionnement cognitif de la majorité – ces individus dits « normaux », qu’eux préfèrent appeler les « neurotypiques ». Cette comparaison, argumentent-ils, ne fait ressortir que les caractéristiques négatives de l’autisme, telles que le défaut de langage ou le caractère restreint des centres d’intérêt, et laisse dans l’ombre d’autres traits tout aussi caractéristiques, mais ceux-là positifs : les compétences et même les hypercompétences propres aux autistes, trop souvent ignorées. Pour les partisans de la neurodiversité, l’autisme constitue non pas une maladie mentale mais une autre forme de cognition humaine, une autre forme d’intelligence.
Une autre forme d’intelligence ? A première vue, cela paraît relativement facile à admettre s’agissant de ces autistes de haut niveau, aux dons parfois exceptionnels (calculateur prodige, polyglotte prodige…), que sont les porteurs du syndrome d’Asperger, à l’instar de l’Anglais Daniel Tammett, auteur du best-seller « Je suis né un jour bleu ». Mais les tenants de la neurodiversité vont beaucoup plus loin, en soulignant que ce concept s’applique à tous les autistes et tous les autismes. Même aux cas les plus sévères, lorsque l’enfant se révèle en grandissant incapable d’apprendre à parler et que les tests standards de quotient intellectuel font apparaître un score largement inférieur à 70, seuil en deçà duquel le sujet est considéré comme retardé intellectuellement.
La littérature scientifique sur l’autisme indique que, si l’on appliquait les tests standards de QI à l’ensemble des autistes, 75 % d’entre eux obtiendraient un score inférieur à ce seuil et seraient donc étiquetés « retardés mentaux ». Mais, pour Laurent Mottron et Michelle Dawson, ce résultat ne prouve qu’une chose : que ces tests standards, conçus par des neurotypiques pour des neurotypiques, ne sont pas adaptés aux autistes.
Les tests de QI courants, dérivés de l’échelle WAIS (« Wechsler adult intelligence scale »), font une large part à l’expression verbale, qui est la principale pierre d’achoppement à laquelle se heurtent les autistes. Mais il existe d’autres tests, plus adaptés. Comme la matrice de Raven, développée à l’origine par l’armée britannique pour recruter ses futurs pilotes de chasse sur la base de l’intelligence pure, c’est-à-dire en gommant le plus possible l’impact de l’environnement socioculturel. « En mesurant l’intelligence des autistes à l’aide de la matrice de Raven, qui ne fait pas appel à la parole ni à la culture générale, on obtient des scores bien plus proches de la moyenne de la population », indique la chercheuse en sciences cognitives et spécialiste de l’autisme Fabienne Cazalis.

Hyperperceptifs

Si l’imagerie a montré qu’il existait une base cérébrale à la spécificité de la cognition des autistes (lire ci-dessous), des expériences ont également été faites pour mieux caractériser ce fonctionnement particulier. « Les autistes sont des hyperperceptifs. Ils perçoivent dans leur environnement beaucoup plus de détails que nous, ce qui fait qu’ils sont continuellement assaillis par une masse d’informations sensorielles supérieure à celle que nous recevons et devons traiter », explique Fabienne Cazalis.
Cet afflux permanent, qui leur complique la vie au quotidien, développe leur capacité à traiter de l’information en situation de surcharge attentionnelle. Cela a été établi par l’Anglaise Nilli Lavie, de l’University College London. Ses expériences ont montré que, confrontés à un nombre croissant d’éléments à surveiller simultanément, les autistes arrivent à saturation moins vite que les neurotypiques. Un atout majeur dans le monde du travail !
Et ce n’est pas le seul. Les activités et centres d’intérêt restreints, stéréotypés et répétitifs des autistes ont un corollaire positif qui est leur haut degré de rigueur et de précision dans l’exécution. Ces deux qualités sont particulièrement appréciables dans certains secteurs d’activité, à commencer par l’informatique. Quelques grandes entreprises l’ont bien compris, comme SAP qui réserve depuis quelques années des postes d’informaticien à des autistes, quitte à aménager un peu leur environnement de travail. Mais ces exemples de discrimination positive sont encore trop rares.
Outre l’informatique, un autre secteur dans lequel le profil cognitif des autistes offre un potentiel intéressant est… la recherche. Le cas de Michelle Dawson en est l’illustration. Cette fois, plus que leur rigueur et leur précision, c’est une autre spécificité de la cognition des autistes qui entre principalement en jeu : leur facilité à détecter dans une grande masse de données des similarités, des régularités, ce que l’on appelle parfois des « patterns ». « Les autistes sont davantage capables que nous de repérer de telles similarités à différents niveaux d’analyse. Leur mode de raisonnement s’apparente un peu à la géométrie fractale, où une même structure se répète à différentes échelles », explique Fabienne Cazalis.
Mais, s’empresse d’ajouter la chercheuse, si ces atouts sont réels, attention toutefois à ne pas enjoliver le tableau : pour les autistes, surtout ceux dits de « bas niveau », qui n’ont pas réussi à acquérir le langage parlé (mais qui, très souvent, n’en savent pas moins lire et écrire), la vie reste un parcours semé d’embûches. « Ce n’est pas parce qu’on reconnaît aux autistes une intelligence différente et des compétences particulières qu’il faut cesser de considérer l’autisme comme un handicap, nécessitant prise en charge adaptée et aides financières. »

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